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360° : RESTITUTION DE LA VISION DE :

YVES POILANE

DIRECTEUR DE TELECOM PARIS TECH
Restitution de la vision du Jeudi 15 Novembre 2018
« Comment sourcer, attirer, retenir et former les talents ? »
 
Par où voulez-vous commencer ?
Y.P :Je me suis dit qu'avant de parler de votre sourcing et de la formation de vos ressources, j'allais vous parler de mon sourcing concernant les étudiants et professeurs. En effet, c'est la qualité et la quantité des étudiants que je forme qui fait ensuite la qualité et la quantité des diplômés que vous recrutez... Alors tout d'abord sachez que, nous ne formons pas assez de diplômés bac+5 et au-delà dans le domaine du numérique. En particulier au niveau des plus grandes écoles.... 
 
Pourquoi ce constat ?
Y.P : Tout simplement parce que nous n'avons pas l'argent pour cela. La prise en charge d’un élève en année de grande école coûte entre  12 et 17 k€/an... Les droits de scolarité sont dans les écoles publiques sont de l’ordre de 3200 € (Mines ParisTech, CentraleSupelec), 2700 € dans mon école. Et on ne peut former plus de diplômés à coût ultra-marginal. Le taux d'encadrement des meilleurs établissements d'ESR dans le monde est de 10 étudiants/professeur. Nous pourrions donc en former plus avec plus de moyens. Faut-il réallouer les moyens de certaines grandes écoles vers d'autres ? Quels sont les domaines dans lesquels les ingénieurs diplômés n'arrivent pas à trouver du travail ? A vrai dire, aucun... Alors, qui doit payer pour que nous formions plus ? l'Etat ? Les étudiants ? les entreprises ? Des mécènes ? Pour les étudiants nous avons introduit des tarifs différenciés pour les Européens et les non Européens. Mais nous ne sommes qu'à 4300€ pour les non-européens, et donc encore largement en dessous du "prix de revient".
 
Quid du sourcing des professeurs ?
Y.P : Le sourcing des professeurs, est également un sujet de préoccupation. Nous avons beaucoup élevé le niveau scientifique et développé l'internationalisation de notre corps professoral, mais la concurrence mondiale est rude. Par exemple, la concurrence d'entreprises numériques étrangères s'implantant en France est rude. Google et Facebook, mais aussi Huawei ou Samsung. L'enjeu actuellement est d'alerter ces entreprises sur le fait qu'elles doivent y « aller mollo » pour ne pas « casser l'outil de production » des futurs ingénieurs et docteurs... Plusieurs départs estivaux ont été un véritable traumatisme dans la communauté académique de l'IA. Je fais donc face à un problème de sourcing et de rétention tant de mes élèves que de mes professeurs. 
 
Comment attirer des étudiants et des enseignants ? Quels salaires ? Quels moyens financiers à dispo ? 
Y.P :  Ceci étant dit, je travaille quand même sur l'attractivité de mon école pour les étudiants (ne serait-ce que pour avoir les meilleurs, même si je ne peux augmenter les volumes...) et sur ce sujet, je pense que mes préoccupations peuvent rejoindre les vôtres. En effet, bien comprendre ce qui les intéresse et développer un projet pédagogique en rapport avec leurs centres d'intérêt est une nécessité. La quête de sens est devenue un élément essentiel dans les attentes des étudiants. Une enquête de la CGE confiée à l'institut IPSOS,de  janvier 2018 montre sur 1700 sondés qu’à la question des critères de choix pour le premier poste, les réponses sont les suivantes : 
-92% : l'intérêt du poste prévaut, il doit être stimulant
-85% : l'atmosphère et le bien-être au travail dominent
-75% : ce premier emploi doit être en phase avec mes valeurs
-72% : il doit préserver l'équilibre entre vie pro et perso
 
50% des répondants aimeraient travailler dans le secteur de l'environnement, de l'éducation ou de la santé. Ce qu'ils appellent un travail "utile". 
 
Quelles leçons tirer de ces chiffres ?
Y.P : De ce constat, nous avons établi la nécessité pour nos établissements de les attirer par le sens. Impératif d'autant plus nécessaire pour une école réputée "d'informatique" (mot connoté toujours négativement en France...) et du coup, jugée spécialisée, et pour les geeks. Nous expliquons donc à nos candidats comment le numérique transforme le monde et comment ils peuvent y contribuer. Dans notre formation, nous leur apprenons à transformer le monde, dans une approche responsable et éthique. 
 
Attention tout de même. Il peut y avoir un décalage entre ce qu'ils disent dans une enquête et ce qui va vraiment in finedicter leurs choix... probablement plus terre à terre... comme le salaire d'embauche notamment.  Attention aussi au risque de déception : nous ne sommes pas une école d'informatique, mais nous ne cachons pas qu'il faut aimer l'informatique et les maths pour venir chez nous. Au passage le risque d'être déceptif concerne aussi les GAFA. Facebook nous dit qu'ils ont beaucoup de CV, mais de la part de jeunes qui mythifient ce type d’entreprise... et qui sont ensuite déçus par la suite.
 
Quid de la formation de vos étudiants pour en faire des diplômés ?
Y.P :  Tout d'abord, sans pécher par excès de confiance ou d'immodestie, j'affirmerai que nos grandes écoles d'ingénieurs sont historiquement à l'écoute du marché de l'emploi et que ce n'est pas l'académisme qui les guettait. Bien au contraire parfois, elles ont pu être critiquées pour le niveau scientifique insuffisant de leurs formations.
La nature des travaux de recherche, le fait que 50% de l'activité recherche soient couverts par des recettes externes (bilatéraux, projets ANR, FUI, H2020, chaires de recherche), tout ceci assure une adéquation correcte au marché, sur la recherche, mais sur la formation également (le chercheur est aussi enseignant); le recours aux vacataires y contribue également.
 
Et pour la data sciences et l’IA ?
Y.P :  Mais dans le domaine des data sciences et de l'IA, c'est encore plus vrai, car les données sont le carburant de la recherche et de la formation. Sans données impossible de faire tourner les algorithmes, impossible d'entrainer les étudiants sur des projets. Et les données sont dans les entreprises. On a vu donc une intensification sans précédent des relations entreprises sur les formations Data Science. Le seul autre domaine qui a vécu ainsi un rapprochement fort entre école et entreprises, c'est la cybersécurité, car là aussi, pour se faire la main, pour chercher, il faut des cas réels. Hackathons et bootcamps sont des outils désormais assez courants dans notre pédagogie.
 
Quid des humanités ?
Y.P :  En outre, nous développons également leurs qualités humaines à travers la "formation humaine" faite de mises en situation répétées (prise de parole en public, controverses, travail en équipe multiculturelle, etc.). Mais notre vivier (50% de taupins) reste un handicap sur ces plans par rapport au vivier des prépas HEC... et le temps que nous pouvons y consacrer n'est pas considérable. Nous les encourageons donc à participer à des activités associatives. Et moi-même je les soutiens. J'assiste à des "représentations" (musicales, debating). Nous reconnaissons même par des crédits l'engagement dans le soutien à la diversité sociale. 
 
Quel socle avant le diplôme ?
Y.P :  La largeur et la complexité de ce qu'ils doivent savoir et/ou comprendre est considérable et demeure la quadrature du cercle pour nous.  (et cela s’est accru depuis 30 ans dans nos domaines). L'accélération du progrès technologies accélère également l'obsolescence des compétences.... Ce qui nous amène à la formation continue en DS et IA.
Sur le sujet des publics, il y a donc des experts d'une part, et des non-experts (tout le monde n'ayant pas eu la chance d'avoir fait une formation d'ingénieur ou scientifique dans le domaine des STIC). S'agissant des experts/"techniciens" (bac+5), il y a des populations à "reskiller" et qui constituent d'ailleurs un excellent vivier pour pallier les limites précédemment évoquées à l'augmentation des flux, d'autant plus que, si en France, le "marché" n'est pas prêt à payer pour la formation initiale technique, le "marché" est prêt à payer pour la formation continue, que ce soit les individus ou les entreprises, sans compter qu'il existe des mécanismes publics de financement de la FTLV...
 
Du coup, mon école, mais aussi toutes les grandes écoles d'ingénieurs fortement investies dans les data sciences et l'IA (j'ai nommé l'X, CentraleSupelec, ENSAE, qui me semblent les plus investies), développent des formations TLV pour des experts. Par contre, je pense que Télécom ParsiTech est la seule à faire une place aussi importante aux "enjeux économiques, sociaux et éthiques" liés aux DS et à l'IA. Comment l’expliquer ? Parce que nous avons un département SES, spécialisé en numérique.
 
Quelles conséquences sur votre école ?
Y.P :  Par conséquent, et symétriquement, nous sommes aussi bien placés dans la formation continue aux enjeux scientifiques et techniques des DS et IA, pour les non spécialistes. Nous avons d'ailleurs une formation de deux jours qui débute en 2019 sur l’"IA : enjeux économiques et défis scientifiques". J'ai fait le point avec HEC et l'X et ils n'ont rien d'équivalent.
 
Votre mot pour conclure ?
Y.P :Il y a encore du travail sur l’accompagnement du changement pour les utilisateurs (cf. data litteracy de l’X ou HEC). D'autant plus nécessaire qu'on confère aujourd'hui des pouvoirs quasi-magiques aux algorithmes.... Les débouchés aujourd'hui progressent et nous passons du data scientist au data engineering.


 Propos recueillis par Geoffroy Framery


CONTACT YVES POILANE
Directeur 
TELECOM PARIS TECH
yves.poilane@telecom-paristech.fr


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